Nostaloustic

Sans sa barbe… (François Corbier) – NOSTALOUSTIC #19

Temps de lecture : 14 mn

Par Frozenowl today 2 juillet 2018 7 2

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NOSTALOUSTIC #19 – Sans sa barbe…

Salut les loustics!

Comment être drôle quand on est triste?

Ce ne serait certainement pas rendre hommage à François Corbier, que de retracer, dans un long et pompeux éloge funèbre, la carrière de celui qui, toute sa vie, fit chanter les mots avec insolence et légèreté.

Alors, pour ce numéro très spécial de Nostaloustic, nos équipes, qui n’ont pas froid aux yeux, ont fait une chose qui n’avait encore jamais été faite dans aucune émission écrite! En effet, nous sommes allés négocier avec la Mort en personne.

Et c’est après bien des discussions (et en échange de deux-trois babioles sans valeur, comme par exemple, l’âme de Donald Trump) que notre envoyé spécial exclusif a pu traverser en Sa compagnie les Portes du Paradis pour tenter de réaliser une interview EXCLUSIVE de ce très très grand chansonnier qui vient de nous quitter.

Lutin, est-ce que vous nous entendez?

L- Oui, tout à fait, Père Noël! La 4G passe moyen ici, mais je vous entends cinq sur cinq.

F- Pas trop dur, le voyage?

L- Ah, ne m’en parlez pas! Ça a commencé par un gros chien à trois têtes qui m’a poursuivi pendant toute la traversée de la grosse rivière. Ensuite, les âmes des trépassés maudits ont tenté de m’entraîner dans le Gouffre de l’Éternelle Agonie. Et puis je vous parle même pas de mon compagnon de voyage, ce gars très maigre en noir avec la faux qui me suit depuis le début du voyage! Après, je dis pas, il fait des efforts pour mettre un peu l’ambiance, il sourit tout le temps, mais enfin…

F- Bon bon, ça va, ça va, pas la peine de nous parler de vos petits soucis. Est-ce que, au moins, vous avez trouvé François Corbier?

L- Oui oui, je suis en ce moment même en sa compagnie!

F- Ah, super! Tendez-lui le micro, branchez la caméra, et ACTION !

L- Alors bonjour François Corbier…

F- COUPEZ ! Qu’est-ce que vous faites, là?

L- Ben… l’interview.

F- Ah ! Ah ! Ah ! Excellent ! Vous êtes décidément très drôle. Bon, et maintenant, mettez-moi en webex avec Corbier, et taisez-vous, on recommence.

L- Mais, j…

F- ACTION !

Alors, bonjour François Corbier, merci de nous avoir accordé cette interview exclusive. Et pour commencer, une question que se posent tous les loustics : comment allez-vous?

C- Bonjour à tous les loustics. Et bien… ça va. La mort, on en fait tout un foin, mais c’est finalement mieux après qu’avant.

F- En tout cas, l’auréole vous va très bien.

C- Ah oui, merci, ça gratte un peu au niveau de la nuque, mais on s’y fait.

F- A propos de gratte, je vois que vous avez gardé votre guitare!

C- Ah, ça a été une dure négociation avec Saint-Pierre. Mais franchement, qu’est-ce que j’aurais fait avec une lyre? Moi, mon instrument, c’est la guitare! J’avais récupéré celle de mon frère lorsqu’il est parti au service militaire : j’ai appris à en jouer et à son retour, j’avais écrit 20 chansons!

F- C’est le début d’une belle aventure : vous avez commencé par former un duo de cabaret avec votre frère.

C- Oui, pour vous montrer notre amour des jeux de mots laids pour les gens bêtes, c’était en 1962, et ça s’appelait Gouate & Mallat : j’y fais allusion dans « Sans ma barbe ».

F- Et c’est à cette époque que vous avez découvert les fameuses chansons flashes, en écoutant Claude Cérat, chansonnier et père de Eric Serra.

Comme la fameuse « chanson du pompier qui repeint un pont » : PEINT PONT!

Et pas très longtemps après, à 22 ans, vous faites une rencontre déterminante : un autre immense chanteur, humoriste et guitariste, dont vous êtes en quelque sorte le fils spirituel

C- Oui, c’est Georges Brassens qui m’encourage à chanter. Je crée alors un spectacle de 40 chansons flashes qui dure… 20 minutes! (Rires)

F- Et comment avez-vous commencé votre carrière audiovisuelle?

C- Et bien, c’était en 1968, j’ai croisé Jean-Pierre Elkabbach, qui m’a fait entrer dans France Inter.

F- J’ai là un collector, puisque pour votre premier single, la même année, vous ne portez pas la barbe!

C- Ah, ça faisait mauvais genre et ce n’était pas encore revenu à la mode!

F- C’est aussi sur ce disque que d’Alain Roux, votre vrai nom, vous devenez pour la première fois François Corbier.

C- C’était Alain Barrière, ami et producteur du disque (il chante d’ailleurs la deuxième voix sur la face B), qui me disait toujours « Avec tes chansons, tu vas finir pendu ». Alors, moi, je me suis rappelé de la « Ballade des pendus », le célèbre poème de François Villon, qu’il écrivit en prison dans l’attente de son exécution.

F-« Je suis François, dont il me poise

Né de Paris emprès Pontoise

Et de la corde d’une toise

Saura mon col que mon cul poise »

On sent bien l’influence! (Rires)

C- Oui (Rires). François Villon s’appelait en réalité « François de Montcorbier », d’où mon nom d’artiste. Finalement, François Villon ne finit pas pendu… et moi non plus!

F- En 1970, vous entamez une carrière de chansonnier, que vous mènerez dans divers cabarets. C’est aussi cette année-là que vous faites votre première apparition sur le petit écran avec la Chanson de Roland.

C- Oui, mais ce fut un bref passage. Ce n’est que bien plus tard, en 1982, que je fis la connaissance de Jacqueline Joubert, la mère d’Antoine de Caunes, qui était alors directrice de l’unité jeunesse pour Antenne 2. A l’époque je chantais au Caveau de la République, qui n’existe plus aujourd’hui. Un soir, après être allée visiter un de ses amis chansonniers, elle assiste à mon petit spectacle. Dans la salle, il y a des adultes, mais aussi quelques enfants, dont les parents n’avait pas réussi à se débarrasser : à l’époque, ça ne se faisait pas de les noyer ! Donc Jacqueline Joubert m’écoute, et réalise que mes chansons font aussi rire les enfants. A la fin, elle vient me voir et me propose de participer à une émission pour la jeunesse. Moi, je ne connaissais pas Dorothée, je ne connaissais pas les émissions pour les mômes, et je pensais que ça allait durer 4-5 mois. Et ça a duré 18 ans !

F- Vous faisiez à l’époque un numéro qui consistait à composer en DIRECT des chansons flashes sur la base de quelques mots qui vous était donné par les enfants. Déjà que le direct a pratiquement disparu, ce serait inimaginable aujourd’hui!Une anecdote sur cette époque?

C- Je me rappelle qu’on était tous sur le plateau : Dorothée, Jackie, Cabu, etc.. Ce jour-là, Dorothée portait une mini-jupe. Et juste avant de prendre l’antenne en direct, je glisse à l’oreille de Cabu : “Si tu te penches un peu tu pourras voir ses couilles !”. Je revois encore mon camarade éclater de rire et se plier en deux pour ne pas qu’on le voit ainsi au moment où s’ouvre l’antenne…

F-En parallèle, vous avez continué votre carrière de chanteur?

C-Oui, mon premier single pour enfants s’appelait Mille-pattes, mais ça n’a pas très bien marché…

F- Et en 1986, c’est votre premier vrai carton avec le Nez de Dorothée, dessiné par Cabu, et chanté avec Dorothée elle-même!

C- Oui, cette chanson elle a une histoire. Je n’avais pas spécialement l’intention d’écrire un truc sur le nez de Dorothée, mais un jour, les gens qui écrivaient les enchaînements entre les émissions viennent me voir pour me dire : « Voilà, c’est les bonnes résolutions de début d’année, faudrait que tu trouves un truc rigolo sur Dorothée. » Ben voilà, Dorothée va laisser son nez dans sa valise puisqu’elle chantait toujours son tube de la « La Valise ».

F- En 1987, vous faites la bascule : après Jackie un an avant, Dorothée part sur TF1, et vous prenez part à la toute première émission du Club Dorothée. Pourquoi ce choix?

C- En fait, après le départ de Dorothée sur TF1, Jacqueline Joubert ne me propose rien. Alors je me dis que quitte à continuer à servir la soupe, autant continuer avec Dorothée. Je préfère faire l’andouille avec Dorothée plutôt que de rester dans le service public où on ne me propose rien.

F- C’est aussi l’année où vous arrêtez le cabaret : j’imagine que les rythmes étaient devenus trop prenants pour continuer deux carrières en parallèle…

C- C’est ça. Le Club Dorothée, c’était 30 heures d’émission hebdomadaires, alors impossible de faire autre chose à côté!

F- Malgré tout, durant ces années-là, vous sortez deux beaux succès : Sans ma barbe en 1988 et Laissez les Mamies faire en 1995.

C- Oui, je n’ai jamais voulu abandonner la musique. Mais cette période a duré bien trop longtemps : quand je suis rentré en 1982, je ne me serai jamais imaginé que je resterais animateur télé pendant aussi longtemps!

F- Et comment vous rappelez-vous de ces années?

C- Je me suis beaucoup amusé, mais je me suis toujours demandé ce que je foutais là. J’ai suivi le mouvement, mais je ne comprenais pas grand chose à ce que voulait faire M.Azoulay. C’était mon boulot, et j’étais payé pour alors je me faisais entarté ou arrosé. Mais ça ne me plaisait pas. Et je n’ai jamais regardé les dessins animés japonais ou les sitcoms qui passaient dans le Club Do : ça ne m’intéressait pas.

F- En 1996, vous en avez marre et vous claquez la porte?

C- C’est ça, je trouvais que l’atmosphère de travail se dégradait, il y avait beaucoup plus de tensions, je ne sais pas trop pourquoi. Est-ce que c’est parce que M.Azoulay et M.Berda avaient créé leur propre chaîne, concurrente de TF1 qui nous diffusait ? Alors je suis parti. Je ne suis revenu que pour la dernière, en 1997 : mais j’étais content que ça se termine.

F- C’en est suivi une longue traversée du désert?

C- Oui, j’ai cherché du boulot mais ça été compliqué : personne ne voulait de moi. Les gens qui me connaissaient ne me croyaient pas : « Mais tu es Corbier! Tu plaisantes : tu dois certainement être demandé de partout. » Mais la vérité, c’est que ça a été la galère pendant des années!Je participais à des entretiens d’embauche mais les gens me regardaient bizarrement : en fait, j’avais l’impression qu’ils me regardaient comme un parfait abruti!

F- Les années Dorothée auront durablement marqué votre image.

C- Ah oui, cette image va me coller jusqu’à la fin de ma mort.

F- Mais vous ne voulez plus être animateur télé…

C- Non, je savais pourquoi j’étais parti. C’est pourquoi j’ai refusé le projet de M.Azoulay lorsqu’il a voulu recréer une émission avec l’ancienne équipe sur IDF1.

F- Malgré tout, vous revenez sur scène en 2010 pour l’exceptionnelle série de concerts avec Dorothée, où vous évoquez vos années Club Do avec un certain recul.

C- Oui, mais après j’ai arrêté : j’ai participé à une ultime émission avec l’équipe en 2014 et j’ai dit que c’était fini. Je suis très content que des personnes se souviennent de moi pour quelque chose qui n’est pas si mal que ça… Faire rire des moutards c’est quand même mieux que d’assassiner des vieillards. Vous ne croyez pas ? Ce qui m’ennuyait, c’était ceux qui ne me parlaient que de ça. Qui n’écoutaient pas les nouvelles choses que je leur proposais.

F- Et comment êtes-vous revenu à la chanson ?

C- Donc après l’arrêt du Club Dorothée, ça n’allait pas du tout. Mais un jour, Maxime Le Forestier me reconnaît dans la rue, soit qu’il se rappelait qu’on avait chanté ensemble lors des grèves de 68, soit qu’il reconnaissait le barbu de la télé. Toujours est-il qu’il me demande « ça va ? », je lui dis « non, je m’emmerde » et il me dit « Quoi, tu t’emmerdes, tu n’as pas le droit de t’emmerder ! Reprends ta guitare, tu sais écrire des chansons, vas-y ! » Bizarrement, ça m’a secoué alors que mon frère, ma femme et mon fils me disaient la même chose : mais il m’a fallu que Maxime Le Forestier me le dise pour que j’arrête de picoler et que je m’y remette.

F- Vous avez sorti six albums auto-produits : Toi, ma guitare et moi, Presque Parfait, et Vieux Lion. Vous participez même à un court-métrage en 2005 « Presque des hommes ».

C- Je ne dirai pas que je vivais de ma « musique », parce que ce mot n’est pas adapté à ce que je proposais. La musique, c’est Beethoven, c’est Charlie Parker.Moi, je faisais de la chanson. C’est un art à part, ni tout à fait de la poésie ni vraiment de la musique, mais un truc qui participe des deux à la fois. Je chantais des chansons qui s’adressent à un public adulte. C’étaient des chansonnettes un peu satiriques. J’y raconte ma vision du monde, nos misères, nos élans communs. Nos rêves aussi. Je le faisais chaque fois que c’est possible pour en rire un peu. J’estime que rajouter du drame au drame, ce n’est pas nécessaire.

F- A la suite de la dernière émission consacrée au Club Do en 2014, vous étiez un peu amer car on ne vous avait pas demandé de chanter de chansons dans l’émission. Vous disiez : « Je crains que pour me voir chanter mon répertoire dans une émission de variétés sur une chaine importante, il ne faille attendre ma disparition. » Vous le pensez toujours?

C- Oui, même si je ne pense pas qu’on me rendra le même hommage qu’à Johnny! (Rires)

F- Et puis… snif, vous êtes mort.

C- Voilà, c’est ça. Mais… vous pleurez?

F- Snif, non, juste une poussière… Je pense qu’on était plusieurs à espérer secrètement que ça n’arriverait jamais, que le pays de notre enfance ne s’effacerait pas comme ça, petit à petit, avec les départs de tout ce que nous aimons.

C- Ah, mais ça c’est la vie, on n’y peut pas grand chose. La vie, c’est un peu comme une chanson flash : c’est très court. Mais si on a pu dire l’essentiel, soulager nos difficultés et faire rire un peu, alors ça valait le coup d’être vécu. Oula, c’est qu’il est tard, là, je dois y aller.

F- Au revoir Corbier, faites la bise à Carlos, Cabu, René et Framboisier de ma part.

C- Je n’y manquerai pas! Ciao la compagnie!

F- Et bien voilà, les loustics, merci de nous avoir accompagné jusqu’à la fin de cette émission.

Ne pleurez pas, Corbier ne l’aurait pas voulu. Prenez une guitare, ou si vous ne savez pas jouer, chantez avec moi :

« Sans sa barbe, quelle barbe!

On est comme des chiens sans puce

Bonjour c’est Milan sans Rémo.

Sans sa barbe, quelle barbe !

Il y a plus de consensus ni de Cuba sans cacao. »

Je vous laisse méditer sur le sens caché de cette dernière phrase et je vous dis à bientôt pour le prochain NostaLoustic !

(Silence…)

L- Voiiiilà, j’ai rangé tout le matériel.

Et bien, c’était une super interview! Dommage que le Père Noël ait raccroché aussi vite : je n’ai pas pu lui demander comment je faisais pour rentrer ?

La Mort- QUI A PARLE DE « RENTRER »?

today2 juillet 2018 7 2 Posté par : Frozenowl


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Commentaires (7)

  1. fleury
    Le 15 février 2023 à 18 h 37 min

    Vous auriez du déposer votre concept, car un certain Thierry Ardisson propose desormais d’interviewer les personnalités décédées. lol

  2. Donnie
    Le 4 juillet 2018 à 10 h 20 min

    Difficile de faire plaisir à Corbier en retenant la larmichette, après avoir lu ce Nostaloustic.
    Merci pour ce beau travail. Ma guitare n’est pas loin, je vais retrouver ces fameux accords de « sans ma barbe » et de percer le mystère du passage sur le consensus et Cuba… (quoique, ça fait déjà un moment que j’ai une idée sur le sujet, consensus n’étant pas vraiment un mot à la portée des enfants alors que c…)

    • FrozenOwl
      Le 4 juillet 2018 à 23 h 42 min

      Merci Donnie : je ne te cache pas que j’en aussi versé une ou deux en regardant quelques vidéos et en l’écrivant…
      Quant à l’énigme du « Cuba sans cacao », il suffit de découper les mots différemment… 🙂

  3. cochise
    Le 4 juillet 2018 à 0 h 42 min

    ouahhhhhh
    j’en reste baba!!!
    tellement touchant
    et vrai.
    merci froz
    merci corbier

    je vais aller gratter un peu ma guitare qui prend la poussiere a defaut de reprendre les crayons

    • FrozenOwl
      Le 4 juillet 2018 à 7 h 22 min

      Merci beaucoup Cochise, je suis ravi que ça t’ait plu. J’ai aussi pris un immense plaisir à l’ecrire et à me replonger dans toutes ces belles archives!

  4. El Loustico
    Le 3 juillet 2018 à 13 h 16 min

    Super interview Froz !! Quel plaisir de lire notre Corbier. Je vois que tu as des contacts haut placés ! C’est exceptionnel, fantastique, que dis-je, mortel !! 🙂

    • FrozenOwl
      Le 4 juillet 2018 à 7 h 17 min

      Merci beaucoup, El Loustico!
      Il convient de préciser que les anecdotes sont authentiques et que la plupart des répliques sont tirées d’interviews diverses et reproduites le plus fidèlement possible pour retranscrite le franc-parler de notre Corbier préféré: en un sens, c’est vraiment lui qui nous parle!

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